Alphida Crête était mon grand-père maternel. Il est né à Saint-Séverin en 1890, décédé en avril 1964, à l’âge de 73 ans. Pendant les premières années de son mariage, il a vécu à La Tuque en Haute-Mauricie. Il a travaillé d’abord comme garde forestier. Opticien puis optométriste, il exerça sa profession de 1911 à 1916 à La Tuque, puis à Grand-Mère, à partir de 1916. Il fut commissaire d’écoles, puis président de la Commission scolaire de Grand-Mère. Il fut député du compté St-Maurice Laflèche à l’Assemblée nationale du Québec de 1931 à 1935, puis député libéral fédéral jusqu’en 1945. Il fut l’un des onze députés à se prononcer contre la conscription. À son décès, dans l’Écho du St-Maurice, on a pu lire «…il laisse le souvenir d’un homme qui avait foi en sa petite patrie et qui ne craignait pas de se battre pour assurer la sauvegarde d’un coin de terre si prometteur. Plusieurs se souviendront de ses courageuses prise de position aux temps difficiles de la seconde guerre mondiale ».

À La Tuque, il a travaillé comme horloger-bijoutier. C’est dans ces boutiques qu’on vendait les premières caméras Kodak. C’est ainsi qu’il eut accès à toutes les publicités de cette compagnie et a pu développer sa passion pour la photographie. Passionné de chasse et de pêche, c’était tout naturel qu’il fasse la connaissance d’Atikamekw.
«…L’époque durant laquelle grand-père photographiait était celle où tout le monde commençait à avoir son Kodak familial. C’était devenu un passe-temps: il suffisait de « presser sur le bouton » comme le suggérait la publicité de la compagnie, pour enregistrer des tonnes d’images-souvenirs. C’était l’époque de la « petite boîte noire » qu’on traînait partout le dimanche, pour les randonnées en auto, les pique-niques, les baignades à la plage et qu’on sortait de l’armoire aussi tous les grands jours qui marquent l’histoire d’une famille, lors des fiançailles, des mariages, des baptêmes, et qu’on ne manquait surtout pas d’apporter en vacances, en voyage. C’était une manière de fixer et de conserver sur pellicule tous les moments de la vie qui étaient chers. Plusieurs amateurs tentaient même de développer leurs photos avec l’aide de petits traités sur la photographie. Ce fut le début des chambres noires improvisées dans la garde-robe ou la salle de bain…
…Quand on rassemblait ensuite toutes ces photos dans l’album de famille, c’était une manière de se rappeler qu’on avait été bien ensemble, ça consolidait les liens, ça donnait une image rassurante de la lignée. Au fil des années, ça devenait comme un arbre généalogique. Toute sa vie, passionnément, grand-père a photographié ce qu’il aimait, sa famille, le bois de la Haute-Mauricie et les gens qu’il y a rencontrés. Quelques paysages mais surtout des gens. Il y a deux albums consacrés à sa famille et les sept autres, avec toujours quelques photos de la vie quotidienne ici et là, parlent tous du bois, des amis de chasse, des Indiens Atikamekw (Têtes-de-Boule, dans le texte), des gars de chantiers. Les images qu’il y a faites, avec acharnement, parce que les conditions n’y étaient pas toujours faciles, nous laissent croire qu’il avait probablement le désir de transmettre cette connaissance qu’il avait acquise au cours des ans. Tout au moins voulait-il garder en mémoire ces images qu’il avait vécues. La quantité incroyable de ses photos manifeste en tout cas cet enthousiasme qui caractérise tous les amateurs passionnés. »
Extrait de texte de présentation d’un diaporama intitulé La chasse aux portraits; réalisation: Marie Décary; image: Louise de Grosbois; son: Claude Perreault, prod. Claude Haeffely, Griffes ô Graphes, Ministère des affaires culturelles, 1977. Cliquez pour visionner La chasse aux portraits.